Visiter Venise : pourquoi l’on s’assoit rarement sur les marches

Canal vénitien calme au matin avec reflets colorés

S’asseoir sur les marches à Venise expose à une amende de 100 à 200 euros, selon l’ordonnance municipale en vigueur depuis 2019. Les contrôles sont fréquents dans les zones touristiques, en particulier autour de la place Saint-Marc et du pont du Rialto.

Cette interdiction ne concerne pas seulement les habitants, mais s’applique à tous, touristes compris. Les établissements vinicoles, appelés bacari, disposent de leur propre espace pour la dégustation, limitant ainsi la consommation de boissons et la pause sur l’espace public.

Venise et le vin : une histoire d’amour enracinée dans la lagune

Dans la lagune, Venise a tissé une relation profonde avec le vin, presque aussi ancienne que ses canaux. Ici, chaque pierre conserve le souvenir d’échanges, d’arrivées de barques chargées de tonnelets, de marchands et de marins venus d’ailleurs. Inscrite au cœur de la Vénétie, la ville a développé une identité façonnée par son isolement insulaire, la rareté de la terre ferme et la nécessité d’innover pour cultiver la vigne malgré la salinité du sol.

Pourtant, la Sérénissime, protégée par l’UNESCO, n’est pas à l’abri de l’usure du temps ni des excès de visiteurs. Les canaux, les escaliers, l’ensemble du tissu urbain sont mis à rude épreuve par la fréquentation et les comportements irrespectueux. Les autorités multiplient les initiatives : restauration des bâtiments, renforcement des fondations en chêne, surveillance accrue. Rien n’est laissé au hasard pour préserver ce patrimoine unique.

Venise, surnommée jadis la Cité des Doges, instaure une forme de discipline discrète parmi ceux qui la visitent. S’asseoir sur une marche, banalité ailleurs, prend ici une dimension particulière. C’est prendre part à l’histoire, mais aussi risquer d’abîmer une mémoire collective fragile. À chaque détour, la ville rappelle sa singularité, sa valeur, sa vulnérabilité. Prendre un verre de vin debout, dans l’ombre d’un campo ou au comptoir d’un bacaro, relève d’une forme de respect. Les usages comptent, les détails aussi.

Pourquoi les bars à vin vénitiens ne ressemblent à aucun autre

Le bar à vin vénitien ne se contente pas d’être un lieu de passage : il incarne un véritable mode de vie. Ici, impossible de s’étaler sur les marches ou de s’installer pour des heures à une terrasse débordante. Les Vénitiens préfèrent rester debout, accoudés à un comptoir, un verre de blanc minéral ou un spritz à la main. Le moment n’a rien de précipité, il ne s’étire pas non plus à l’infini. On échange quelques mots, on savoure un cicchetto, une bouchée à base de poisson, de légumes ou de charcuterie, puis on cède sa place, dans un tourbillon parfaitement orchestré.

Quelques exemples permettent de saisir cette ambiance :

  • Les bacari, petits bars discrets loin des circuits touristiques, où la lumière tamisée invite à la retenue.
  • Des étagères couvertes de bouteilles locales, une clientèle mêlant ouvriers, étudiants et commerçants du quartier.
  • Des discussions autour du choix du vin, qui animent parfois la salle tout en douceur.

Les visiteurs se fondent dans le décor, adoptant sans rechigner la posture debout et la discrétion exigée par le lieu. À Venise, la convivialité se pratique en mouvement. Les seules exceptions : la place Saint-Marc et la Campo Santa Margherita, où l’on s’autorise une halte plus longue, peut-être attablé au mythique Caffè Florian ou sur un banc public.

En refusant l’appropriation désinvolte de ses marches, Venise protège l’âme de ses cafés et de ses bars à vin. Ici, on se rencontre debout, on partage un moment, puis la ville continue de vibrer, éternellement en mouvement entre ses pierres et ses eaux.

Quels vins déguster à Venise pour comprendre l’âme italienne ?

La dégustation de vin à Venise, sur un quai ou à l’abri d’une ruelle, n’a rien d’anecdotique. Le choix du vin se fait avec sérieux, porté par une tradition ancrée dans la lagune. Les vignerons locaux, souvent dans l’ombre, produisent des vins au caractère marqué, adaptés à l’identité de la région.

Quelques repères pour s’y retrouver dans ce paysage viticole :

  • Le prosecco, pétillant et léger, incontournable à l’apéritif et compagnon idéal des cicchetti.
  • Le soave et le lugana, deux blancs à la fois vifs et élégants, aux notes d’amande et de fleurs blanches.
  • Le raboso, rouge profond aux arômes de cerise noire, qui séduira ceux qui aiment la puissance maîtrisée.

Pour accompagner ces vins, les marchés vénitiens débordent de produits artisanaux : poissons séchés, fromages affinés, charcuteries fines… Privilégier les spécialités locales, c’est aussi soutenir l’authenticité de la cité et éviter la standardisation importée.

Dans les osterie et bacari, la discussion dérive vite sur le vin du moment. Les habitués savent orienter vers une bouteille issue des domaines voisins. Cette proximité avec la terre s’accompagne d’une attention aux règles : ne pas gêner le passage, ne pas s’asseoir sur les monuments, respecter la propreté. Ici, déguster du vin s’inscrit dans une expérience complète, sincère et respectueuse de Venise.

Escaliers en pierre dans une place animée de Venise

Venise racontée par les écrivains : quand la littérature s’invite à votre table

Venise se lit comme un roman aux multiples chapitres, chaque façade ajoutant une page à l’histoire. Les écrivains, de Proust à Brodsky, ont laissé leur regard s’imprégner des couleurs de la lagune. Sur la place Saint-Marc, Henry James s’installait à une table du Caffè Florian, carnet ouvert, pour saisir la lumière des façades ou la lenteur d’un après-midi d’automne. Il notait les conversations étouffées sous les arcades, l’élégance d’un geste, l’ambiance feutrée d’un lieu chargé de secrets.

Dans le Ghetto de Venise, premier quartier juif d’Europe, chaque pierre porte la mémoire des récits d’exil et de résistance. Les auteurs y trouvent matière à explorer la force du patrimoine, sans jamais tomber dans le pathos. L’UNESCO tire la sonnette d’alarme : la ville pourrait rejoindre la liste des sites en péril, menacée par la montée des eaux et la surfréquentation touristique.

Venise ne se révèle jamais d’un seul coup. Pour l’approcher, rien de tel que de suivre les traces des écrivains qui l’ont habitée. Chacun d’eux propose un itinéraire secret, une cartographie intime. Lire leurs textes en déambulant dans les ruelles, s’arrêter pour observer l’ombre sur le Grand Canal ou s’installer à une terrasse silencieuse : la littérature devient alors le meilleur guide pour vivre Venise avec tact et curiosité.

Il suffit parfois d’un verre de vin, d’un passage sous les arcades ou d’un livre ouvert sur une table pour saisir le vrai rythme de la ville. Venise ne se possède pas : elle se découvre, pas à pas, à hauteur d’homme.